né en 1979
« Les sculptures d’Issiaka Savadogo, sont des témoignages indéniables de l’histoire moderne des peuples d’Afrique, de ce passage et de cette bascule de leur histoire, de ses évolutions et de ses ruptures, depuis les temps les plus lointains, celui des magies, des chamans, des légendes, des cultures avec ses rituels scandés par les chants et les percussions, un temps où les corps touchaient les sommets de leur amplitude.
Ces temps seraient-ils définitivement oubliés ? A croire que les efficacités de ces grandes mécaniques occidentales qui mastiquent depuis la colonisation le paysage humain ont pris le pouvoir jusqu’aux racines !
Issiaka ne se révolte pas de cela. Né à la fin du siècle dernier, il est dans la modernité de son temps, se déplace à moto, sait démonter son moteur étouffé de poussière, accélère au feu-vert de concert avec une centaine d’autres dans le nuage de carbone des encombrements de Ouagadougou… Mais dans le même temps, il dresse l’oreille à l’écoute de ses ancêtres, les Mossi. Certes sa génération ne porte plus les scarifications traditionnelles de part et d’autre du visage, mais il n’a pas baissé le rideau de fer sur sa culture, sur ce qu’il est.
Dans son enfance, il a côtoyé les fétiches, observé les sculpteurs et les forgerons, assisté à la sortie des masques, aux danses, écouté les anciens et leurs histoires extraordinaires… C’est maintenant à lui d’en parler, de montrer par ses sculptures, étranges pour les anciens, nouvelles pour les jeunes, énigmatiques pour les étrangers, qu’il y a en parallèle un « autre monde » à découvrir ou a retrouver.
Ses œuvres sont réalisées à partir de sculptures traditionnelles en bois qu’il démembre pour les reconstituer avec des éléments métalliques récupérés, de la société industrielle. Car la récupération est, pour l’instant en Afrique, source d’approvisionnement pour les artistes qui travaillent avec un équipement limité.
Les sculptures hybrides d’Issiaka semblent sortir de la savane pour se heurter aux roulements mécaniques de la ville, en résistance ou en fusion avec l’artificiel, comme le langage des tambours mêlé aux vrombissement des moteurs, ou les mélodies de la flûte et la stridence de la guitare électrique…
Ces deux mondes cohabitent, dans une impression de chaos, mais le chaos est une autre organisation qu’il suffit de comprendre ; notre artiste a bien conscience de cela.
Au delà de ce que représentent ses œuvres composites, se dégage une présence de vie. Car il faudrait se poser les questions essentielles lorsqu’on est en présence d’une œuvre. Cette œuvre est-elle morte ou vivante ? Cette œuvre apporte-t-elle du nouveau ? Ais-je déjà vu ce type œuvre ? Est-ce de l’art ou de la culture ?
Dans tous les cas, les sculptures d’Issiaka sont avant tout des questions essentielles posées, laissant au spectateur la liberté d’y répondre et le choix d’une interprétation personnelle.
Être artiste c’est être animiste dans le sens où l’artiste transmet la vie dans les objets et les éléments naturels qu’il fait siens. Et il n’est pas question ici de religions, surtout de celles qui colonisèrent le continent africain jusqu’à aujourd’hui! Ses œuvres sont médiatrices de forces spirituelles, comme des trajectoires à suivre, à décrypter, images diffractées sur un miroir brisé.
Dans les sculptures réalisées lors de son premier séjour en France, Issiaka Savadogo a délaissé quelque peu son processus de récupération pour de nouveaux assemblages et conceptions, dessinant sur la tôle d’acier de nouvelles formes qu’il découpe et soude. Ainsi les statues traditionnelles de bois qu’il avait fragmentées ont-elles donné des plans incurvés qui semblent flotter dans un espace nouveau et onirique mis en valeur par des vides. C’est par ces vides que naît la forme et le volume général, donnant à la sculpture des attitudes végétales et une respiration aérienne.
Depuis la nuit des temps les sculpteurs partaient d’un centre plein, d’un fut, d’un arbre, une colonne, jusqu’à l’émergence des artistes cubistes qui révolutionnèrent la représentation du monde visible, fragmentant les images, ouvrant des brèches. N’oublions pas que c’est eux qui les premiers s’inspirèrent de « l’Art Nègre » parce qu’il confortait leurs recherches dans le tout début du vingtième siècle, ils furent les premier à considérer ces « objets exotiques » en provenance d’Afrique ou d’Océanie comme œuvres d’art.
Aujourd’hui Issiaka Savadogo semble avoir renversé cette inspiration à partir de cet « accident » historique dans l’histoire de l’art occidental provoqué par l’art africain, en nous exposant son constat d’un « animisme accidenté » qui, par son active présence, nous indique que l’art africain contemporain est : « une affaire à suivre ». »
par Michel Battle